Les Cormorans
Six cormorans sur leur banquise font et redéfont leurs valises
Changent un pull pour une chemise
Interrogent le calendrier, est-ce qu'on va pouvoir s'envoler
Avant les glaces de février
Octobre va se terminer, il fait encore 18 degrés
L'automne est plus chaud que l'été, les saisons sont toutes enmêlées
Et moi qui attend impatient le grand retour des cormorans
Croix d'acier sous un ciel pesant passant de leur vol hésitant
Impatient de les voir nager tout au long du quai du Seujet
Les regarder plonger dans le courant glacé
Laisser leurs plumes noires s'imbiber jJusqu'à n'en presque plus flotter
Leurs longs becs fiers bien haut dressés comme s'ils n'avaient rien remarqué
Enfin les voir se crucifier droits immobiles sur leurs piliers
Laissant le vent sécher leurs ailes déployées
Six cormorans sur leur banquise humment le vent, tâtent la brise
S'envolent enfin, le vent les grise
Suivez-moi à travers les airs, longeons les côtes et les rivières
Et ne nous perdons pas en mer
Mais qu'est-ce que c'est que la mer, grand-père, qu'est-ce donc que la mer ?
Un jour tu la verras, la mer, tu ne la connais pas encore
Elle ressemble à une rivière qui n'aurait qu'un seul bord
Suivez moi par-dessus les villes, voyez tous ces hommes immobiles
Prisonniers de leurs domiciles
Mais qu'est-ce que c'est que les hommes, grand-père, qu'est-ce donc que les hommes ?
L'homme est l'animal de la race qui doit laisser traîner sa trace
Toujours et partout où il passe, testament de limace
Suivez moi par dessus le Val, voyez au loin ce point tout pâle
Comme chaque année voilà Pascal
Mais qui c'est ce Pascal, grand-père, mais qui c'est ce Pascal ?
C'est l'homme caché derrière un tronc et qui nous voit venir de loin
Plus immobile que le héron, les jumelles à la main
Six cormorans, corbeaux marins, arrivent enfin main dans la main
J'irai les observer demain
Volant du lever au couchant, ils ont écrit chemin faisant
Un V sur fond de nuage blanc
En suivant si haut dans le ciel les cascades figées par le gel
Que les poissons dessous leur glace ont cru voir quelques mouches qui passent
N'ont pas senti la moindre peur, il leur faudra compter les heures
Revoilà le grand prédateur, concurrent des pauvres pêcheurs